samedi 8 décembre 2012

La peur du nucléaire

par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Plusieurs gens dans notre société, lorsqu’ils entendent le mot «nucléaire» imaginent instantanément l’iconique nuage-champignon qui se dressait au-dessus de la ville d’Hiroshima au matin du 6 août 1945, ou encore la tragédie de la centrale de Tchernobyl (1986) ou de Fukushima (2011).


Et pourtant, la vérité est que le nucléaire constitue l’une des sources les plus propres et sécuritaires d’électricité à l’échelle mondiale, qui malheureusement est en bien des endroits menacée en raison des peurs irrationnelles d’un segment grandissant de la population. En France, où 80% de l’électricité provient du nucléaire, le président François Hollande dit vouloir réduire cette proportion à 50%, en allant chercher les kilowatts perdus par une combinaison d’énergie renouvelable et de combustible fossile. Et pourtant, la France emploie le nucléaire depuis des décennies sans accident majeur. De l’autre côté de la frontière, en Allemagne, la chancelière Angela Merkel tient à peu près le même discours, promettant de fermer tous les réacteurs du pays d’ici 2022. Pareil au Japon, qui compte fermer toutes ses centrales nucléaires.

Et à chaque fois, l’alternative proposée, même si elle inclut en partie des sources d’énergie renouvelable, passe également par un recours accru aux combustibles fossiles.

À l’heure du réchauffement climatique, en connaissant le rôle des combustibles fossiles dans la prolifération des gaz à effet de serre, emprunter un cours semblable peut paraître, pour le moins, un peu réactionnaire.

Car, d’ici le jour où nous pourrons compter sur les sources d’énergie renouvelables pour fournir 100% (ou même 50%) de l’énergie que nous consommons – et ce jour est malheureusement encore loin en raison d’une technologie qui progresse peu et lentement – il est primordial de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles.

L’énergie nucléaire peut être un élément de réponse.

Est-ce une industrie exempte de risques ou d’accidents ? Absolument pas. Pour vous informer sur les standards de l’industrie et la classification des incidents nucléaires, visitez le site web de l’IAEA (IAEA). Disons également que peu d’accidents graves ou majeurs (de niveau 6 ou 7 sur l’échelle de l’IAEA) ont eu lieu dans l’histoire de l’énergie nucléaire. On en compte en fait trois : Tchernobyl (N7, 1986), Fukushima (N7, 2011) et Kychtym (N6, 1957). Pour ce qui est du nombre total d’événements pouvant être qualifiés d’«accident» (N4 ou plus), on en dénombre 60 depuis 1944, c’est-à-dire moins d’un par année, pour le monde entier !

Seuls les accidents de niveau 5, 6 et 7 comportent des risques à l’extérieur du site de la centrale.

Voilà pour le nucléaire, passons aux combustibles fossiles :

Un rapport de la World Resources Institute (WRI) daté de novembre 2012, nous apprend que la Chine est responsable de 46% de la consommation mondiale de charbon à des fins de production d’énergie (7 238 millions de tonnes en 2010), et que les cinq plus grandes compagnies d’énergie thermique au charbon dans le monde se trouvent sur son territoire. Les États-Unis (13%), et l’Inde (7%) suivent dans l’ordre au classement des plus grands consommateurs de charbon.

Près de 1 200 nouvelles centrales thermiques au charbon sont projetés à l’heure actuelle dans 56 pays du monde, par 483 compagnies différentes. 76% de ces nouvelles centrales se trouveront en Chine (où l’État possède la majorité des centrales énergétique) et en Inde. La compagnie chinoise Huaneng, à elle seule, projette de construire 66 nouvelles centrales. On comprend bien pourquoi le renouvellement du Protocole de Kyoto n’a pas la cote en Chine. On sait que l’industrie chinoise, même avec le boum économique des dernières décennies, fonctionne encore souvent selon des standards généralement applicables aux pays sous-développés ou en développement, malgré des réglementations de plus en plus fortes imposées à l’industrie au chapitre des émissions de gaz à effet de serre.

Carbon offsets, anyone ? Parce que, ironiquement, la Chine mène également le globe en matière de projets en énergie renouvelable, comptant pour 58.04% des projets cotés CER (Certified Emission Reductions) partout dans le monde en 2012 (ChinaCarbon Fund).

Les carbon offsets (mesures compensatoires) sont un peu l’échappatoire des lois environnementales : par exemple, tu pollues tant, mais tu plantes tant d’arbres, et tant que la différence entre les deux ne dépasse pas la limite de pollution permise par les réglementations en place, pas de problème. Eh oui, même si ton niveau de pollution brute pète la balloune.

Et puis on peut également racheter les crédits d’écotaxe non-utilisés par d’autres pays, par exemple des pays sous-développés qui ne possèdent que très peu, ou aucune industrie polluante, pour compenser nos excès, puisque la réglementation du protocole de Kyoto, à l’origine de ces crédits, s’applique au niveau global d’émissions de CO2.

En Alberta, on se tourne vers la capture (séquestration) de carbone comme mesure de réduction des émissions de CO2. Au moins quatre projets du genre y sont actuellement lancés (Radio-Canada). L’idée part du fait que le fond de l’océan, le sol et les forêts emmagasinent naturellement une part du CO2 présent dans l’atmosphère. Suffirait de maximiser la capacité de capture du sol en créant des dépôts souterrains artificiels, à 2 300 mètres de profondeur, après avoir transporté le CO2 par gazoduc sur des dizaines de kilomètres.

Le projet le plus avancé à ce jour, celui de Shell Canada (Quest Project), a été approuvé par la province de l’Alberta et est éligible à un financement fédéral de 120 millions $ au cours des quinze prochaines années (Radio-Canada).

Les études d’impact environnemental de ces projets, financées par les compagnies énergétiques et le gouvernement fédéral (hum…), nous assurent que c’est là un moyen «faisable et peu coûteux» de remédier à la pollution atmosphérique générée par l’industrie des sables bitumineux. De même souffle, cependant, les experts soulignent la possibilité de fuites de CO2 dans le sol (Radio-Canada).

Donc, on va de l’avant dans ce dossier. 1-0 Alberta. Et que dire de la loi C-38, adoptée (sans amendements, alors que 871 ont été proposés par l’opposition !) lors de la dernière session parlementaire, ce fourre-tout légal qui a, entre autres choses, entériné la refonte des lois environnementales au Canada (Radio-Canada)? 2-0 Alberta ?

Ça va pas ben.

Tout ça pour dire à quel genre de boucanage planétaire on est en droit de s’attendre en délaissant l’énergie nucléaire, et en laissant les grandes compagnies énergétiques –et les gouvernements– investir des sommes faramineuses dans le maintien d’un mode de production condamné à l’échec au détriment des sources renouvelables, vertes et durables, d’énergie.

Pourquoi pas forcer les pétrolières canadiennes à investir 5 cents de chaque dollar de profit (pour 8 milliards en 2011, ça ferait déjà 400 millions de dollars !) dans un fonds de recherche et d’innovation en énergie renouvelable ? J’ose à peine imaginer quelle somme cela représenterait à l’échelle planétaire. Tant qu’à se faire empoisonner, aussi ben que ce soit utile !

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