par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
C’est l’été, il fait chaud, et sous les effets combinés de l’insolation et du désintéressement populaire, on essaie parfois de nous en passer une petite vite, sans trop faire de bruit. Je pense par exemple au joli petit cahier que Harper a distribué à ses «nouveaux» ministres en les accueillant dans son cabinet, et qui leur fournit la liste des fonctionnaires «ennemis» du parti progressiste-conservateur (Radio-Canada et CBC - document à l’appui).
Progressiste-conservateur… ça me fait rire chaque fois.
Je pense également à la ministre nouvellement nommée à la tête de Patrimoine Canada, Shelly Glover, qui a dit –dans un langage typique de fonctionnaire– qu’elle ne voyait, en somme, pas de logique qui tienne quant à exiger le bilinguisme chez les juges de la Cour suprême du Canada (Radio-Canada). Disant que les individus qualifiés pour ces postes de la plus haute importance constituent déjà un groupe assez restreint, il n’y a selon elle pas de sens à imposer des restrictions supplémentaires à l’accès aux sièges de la Cour suprême sur la base du bilinguisme.
Propos étonnant venant d’une ministre originaire d’une communauté francophone en milieu minoritaire. Mme Glover, députée de Saint-Boniface, au Manitoba, parle d’ailleurs un français impeccable malgré ce que peut laisser croire son patronyme. Elle devrait bien comprendre le caractère essentiel du bilinguisme pour la Cour suprême – et plus que tout sa nécessité pour les minorités de langue officielle.
Plusieurs ont réfuté l’argument de Mme Glover, mais je m’offre également ce petit plaisir :
Petit problème, Mme Glover : le bilinguisme officiel est enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés (art. 16 à 20), que les juges de la Cour suprême sont appelés à défendre et à faire valoir. C’est un peu comme demander au renard de surveiller le poulailler que d’accepter la prémisse d’une Cour suprême unilingue anglophone sur la seule base de la compétence judiciaire.
On parle d’un(e) juge bilingue, expérimenté(e) ET compétent(e), pas d’un corbeau albinos – ça ne peut pas être si rare que ça!
J’admets volontiers qu’on puisse être francophile sans être francophone – et une forte proportion d’anglophones l’est – mais de là à nier le droit à la représentation judiciaire dans l’une des deux langues officielles du Canada à sa plus haute instance juridique, faut pas charrier non plus.
Deux petites vites en peu de temps. Il faisait chaud la semaine dernière!
Il s’est également développé une controverse autour de la nouvelle politique linguistique adoptée par l’organisation du Congrès mondial acadien (CMA) de 2014 (Radio-Canada).
Essentiellement, le CMA approuve que 20% des activités du prochain Congrès se déroulent en anglais. Après tout, certaines des festivités se dérouleront au Maine. Sans surprise, plusieurs sont montés aux barricades.
Vieilles rancunes, nul doute, dont on peut aisément comprendre la provenance!
Le raisonnement de l’organisation du CMA tient cependant la route : la politique linguistique veut favoriser plus d’ouverture envers les populations de descendance acadienne n’ayant jamais appris à lire ni écrire le français – ni à le parler, dans certains cas – par exemple, les Acadiens du Maine ou de la Louisiane.
Nos cousins Cajuns ont eu du mal à comprendre la programmation du dernier CMA. N’ayant jamais eu l’opportunité d’apprendre le français à l’école –où on les a en effet souvent découragés de parler le français, voire punis pour l’avoir fait– ils ne peuvent bien souvent pas comprendre ce qui est inscrit sur les affiches et les programmes distribués dans le cadre des évènements.
Je veux bien être inclusif –ça fait partie de la philosophie de vie acadienne– mais même si ma tête approuve le geste, j’admets que le cœur me tord un brin en pensant à une activité en anglais dans le cadre du CMA.
Je n’applaudirai, ni ne huerai, la décision.
Mais là, loin d’essayer de profiter de notre inattention estivale, une pétition visant à éliminer le bilinguisme comme compétence à l’emploi dans la fonction publique néo-brunswickoise crie haut et fort ses quelques 3000 signatures (l’Acadie Nouvelle, 18 juillet, p.9). Je dis la pétition : c’est l’Acadie Nouvelle qui lui donne ce crédit.
La pétition, qui passera bientôt le cap des 3500 signatures (Change.org) peut être consultée, et signée, sur le web. C’est un peu son problème : difficile de garantir la provenance des signataires. Des gens originaires de la province mais n’y habitant plus, de l’extérieur du Nouveau-Brunswick, voire de l’extérieur du pays peuvent y donneur leur soutien. L’examen rapide des signatures les plus récentes ne soutient cependant pas cette thèse.
Il faut toutefois remettre les choses en perspective, un peu comme quand l’Alliance des gens du N-B s’est vantée d’avoir obtenu 1,2% du vote populaire aux dernières élections… 3500 personnes, même si elles sont toutes résidentes de notre province, ne constituent en termes absolus que 0,4% de la population de la province (756 000 en 2012)… c’est un peu comme éternuer dans un ouragan, ça.
Je ne dis pas que cela signifie que 99,6% de la population du Nouveau-Brunswick est en faveur de la politique de bilinguisme dans la fonction publique provinciale. Mais je pourrais si le cœur m’en disait…
Je pourrais aussi dire que deux tiers de ceux et celles qui ont soutenu l’Alliance des gens du N-B, qui appuie officiellement la pétition, aux dernières élections ont viré leur capot de bord…
… si le cœur m’en disait.
Mme Wright ne se prive certainement pas pour interpréter les chiffres en sa faveur!
1 commentaire:
Précision : le nom officiel du parti au pouvoir est le Parti conservateur du Canada (et non le parti progressiste-conservateur, qui a été dissout au fédéral en 2003, suite à la fusion entre l'Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur). Il va donc sans dire que l'aile des ''Red Tories'' n'existe presque plus au sein du parti, d'où la façon de faire de Stephen Harper et de ses proches collaborateurs. Il s'agit donc des « ennemis » du parti Conservateur.
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