par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Hé bien décidément, le coin de Rexton est en ébullition ces temps-ci : vous avez sans doute entendu que les protestations contre l’exploitation du gaz de schiste (et spécifiquement contre la conduite de tests par la gazière SWN Resources) se poursuivent sans montrer de signes de ralentissement.
Et ce, malgré une injonction obtenue par SWN hier, et livrée aux manifestants en début de soirée le 3 octobre. En peu de mots, l’injonction ordonne aux manifestants de céder le passage aux camions de SWN - qu’ils gardent pour le moment bloqués sur place près de la Route 134 - et de limiter leur opposition à des affiches.
L’injonction a été ouvertement défiée par James Pictou, le général en chef des gardiens de la paix de la Société des guerriers micmacs (Acadie Nouvelle), qui a plus ou moins invité les agents de la GRC à passer sur son cadavre s’ils comptent le déloger d’où il se trouve.
La présence des Guerriers sur le site des manifestations contre SWN s’explique par la forte majorité d’Autochtones parmi les manifestants, qui campent en permanence près des barricades élevées sur la route 134 depuis le 30 septembre.
Les manifestations sont demeurées, jusqu’ici, tout à fait pacifiques.
Cependant, même si le but est unique (soit l’expulsion permanent de SWN et de toute autre compagnie d’exploration) les revendications ne sont pas toutes de même source : pour les manifestants non-autochtones, c’est principalement la préservation de la nature sauvage et la protection des nappes d’eau souterraines qui motivent l’opposition à l’exploitation du gaz de schiste. Du côté des Autochtones, là où le bât blesse, c’est le non-respect des traités par le gouvernement. Sur fond de préservation des terres ancestrales, s’entend.
Là question fondamentale est la suivante : qui administre le territoire? Le 1er octobre le chef de la Première Nation d’Elsipogtog a fait parvenir au gouvernement un avis d’intendance sur les terres de la Couronne de la région de Rexton, qui sont également des territoires ancestraux micmacs. Selon le chef Arren Sock, il revient aux Premières Nations d’administrer ce territoire, et suivant cette logique il a servi le jour même un avis d’éviction à SWN, accompagné d’un ultimatum les sommant de quitter avant minuit (Radio-Canada), sans quoi les Guerriers les raccompagneraient de force jusqu’à la frontière des Etats-Unis.
Petit problème, les Guerriers n’ont pas été consultés, et Pictou a traité Sock de lâche pour ce geste. Qu’importe, SWN a répondu par le biais d’une injonction le lendemain.
Qu’adviendra-t-il des manifestants désormais? Ils semblent déterminés à demeurer –pacifiquement- sur place pour l’instant, mais les forces policières grossissent et des sorties du type de celle de Pictou à l’endroit de la GRC laissent présager une fin aussi abrupte que mouvementée à toute l’affaire.
Il transpire de tout ceci que, pour les membres des Premières Nations, il en va de plus que la conservation de leurs terres ancestrales; il y a un réel bras-de-fer politique qui s’engage sur la toile de fond de ces manifestations. David Alward, fidèle à son habitude d’être en-dehors du N-B en période de crise, a fait savoir aux manifestants depuis Toronto qu’il n’a aucune intention de les rencontrer tant et aussi longtemps qu’ils enfreindront la loi (Acadie Nouvelle).
C’est-à-dire qu’il ne les rencontrerait que si ils levaient leur «siège». Cela équivaut à négocier en renonçant à leur principal levier politique, pour les Autochtones, et c’est pourquoi le général Pictou s’oppose à l’injonction avec férocité. Il se dit prêt à mourir pour la défense de sa cause –ce qui est peu probable tant que les manifestants demeureront pacifiques. Mais le défi lancé demeure porteur d’ambitions plus larges que le sacrifice individuel, que le repos du guerrier; il incarne un cri d’alarme venant des Premières Nations de partout au pays, qui se sortent de leur torpeur et qui revendiquent activement leurs droits. Ces droits, endormis par les promesses des traités –bafoués à répétition par les gouvernements au nom du développement économique- ne seront-ils réclamés que par le sang?
«C’est un beau jour pour mourir» a déclaré Pictou au matin du 4 octobre.
Le cas de Rexton semble une nouvelle incarnation du dégoût des Premières Nations envers les politiques gouvernementales, et qui s’est manifesté avec force l’an dernier par le mouvement «Idle No More»… qui s’est frappé le nez contre les portes du Parlement et le silence du premier ministre.
La même chose se reproduit ici : Alward choisit d’ignorer le cri d’alarme.
Et pourtant, de l’avis du juriste Serge Rousselle, les Micmacs ont des droits légitimes sur le territoire, ou du moins suffisants pour négocier avec le gouvernement quant à l’exploitation des ressources par SWN (Radio-Canada). En invoquant un titre aborigène (une présence de longue date sur le territoire), les membres des Premières Nations peuvent encourager le gouvernement à s’assoir à la table de négociations. Car s’il y a un doute raisonnable que les actions du gouvernement peuvent porter préjudice aux droits autochtones, ce dernier a l’obligation d’en négocier les conditions.
C’est ça le jeu, ici : le gouvernement a des obligations en vertu des traités et de la jurisprudence, desquels –du point de vue des Autochtones- il se libère en invoquant des mesures judiciaires rendant l’action des manifestants illégale. Les représentants des Premières Nations répliquent en niant la supériorité de l’autorité provinciale sur leurs sdroits ancestraux (CBC), et –du point de vue du gouvernement- en brisant la loi. Je le répète : tant que les manifestations demeureront pacifiques, la GRC ne peut intervenir de façon violente.
Il reste à voir comment, de jour en jour, on va définir «pacifique»…
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