par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
L’environnement est un enjeu de taille dans la réalisation du projet Énergie Est. Pas que ce soit une embûche majeure dans la concrétisation du projet : la soumission doit essentiellement recevoir l’aval du Conseil canadien de l’Énergie. Mais puisque le CCÉ relève d’Industrie Canada, ce ne devrait être que formalité (Le Devoir). En principe, le CCÉ doit s’assurer que toutes les précautions ont été prises par TransCanada pour aboutir sur un oléoduc conforme aux exigences de l’industrie, avec des garanties de sécurité suffisantes au point de vue écologique.
Non, ce n’est pas à Ottawa que l’environnement sera un enjeu majeur dans ce projet : c’est dans les consultations publiques qui doivent déterminer le tracé du nouveau tronçon de l’oléoduc reliant l’Ontario au Nouveau-Brunswick.
Encore là, pas de problème en vue au N-B : le projet a reçu très tôt le soutien de la classe politique et les consultations préliminaires le long du tracé proposé ne laissent entrevoir que des modifications mineures, et somme toute peu d’inquiétudes (Radio-Canada). En Alberta, la très enthousiasmée Allison Redford a même qualifié l’oléoduc de «projet fondateur pour la nation», au même titre que l’a été le chemin de fer transcanadien en 1867.
Oui, mais à quel prix? Si le simple fait de faire miroiter les retombées économiques suffit à en aveugler plusieurs – et c’est la cas chez nous – le Québec n’est pas encore gagné pour TransCanada. Cependant, Québec n’a formulé aucune objection formelle au projet tel que mis de l’avant par la pétrolière; le gouvernement Marois se laisse courtiser. Car la majeure partie des 1400 kilomètres du nouvel oléoduc passera en sol québécois, approvisionnant en cours de route les deux raffineries québécoises, Suncor (Montréal) et Ultramar (Lévis) en plus d’un éventuel terminal au port de Québec avant de plonger vers Saint-Jean.
Il faudra, clairement, que le jeu en vaille la chandelle pour le Québec; et ce n’est certainement pas d’aider à bâtir la nation canadienne qui sera vendeur!
La World Wildlife Fund (WWF) et Équiterre ont d’ailleurs émis un communiqué début août pour faire contrepoids à toutes les flagorneries industrielles dans les médias nationaux et discours politiques. D’une part, ces organismes déplorent les risques environnementaux à long terme que devra assumer Québec, dans le seul espoir de gains économiques à court terme. Également, ils font valoir que l’extraction du pétrole des sables bitumineux albertains «émet 3 à 4 fois plus d’émissions de GES que le pétrole conventionnel du Canada ou des Etats-Unis» (WWF Canada). Au passage, la WWF écorche le gouvernement conservateur de soutenir le projet «en l’absence d’une stratégie énergétique nationale qui tienne compte des changements climatiques». Une telle stratégie devrait viser à long terme le «sevrage» de la dépendance canadienne aux combustibles fossiles. Selon Équiterre, le projet Énergie Est nous «enferme encore longtemps dans une économie axée sur le pétrole», et il faut au contraire miser sur les énergies propres et renouvelables.
Point intéressant : le communiqué précise que bien que les déversements de pétrole soient plus fréquents dans le transport ferroviaire, les volumes déversés dans les bris d’oléoducs sont trois fois plus importants (Agence internationale de l’énergie). Ce qui suscite une question: quand cesse-t-on de parler (ou de ne pas parler, justement) de «bris mineur», ou d’«incident», pour parler de «déversement»? À combien de tonnes se situe la barre?
Il demeure que, lorsque questionnés sur les règlmentations qui entoureront la construction et la mise en service de l’oléoduc, tous les intervenants s’entendent pour dire qu’il est capital que les normes en place soient respectées pour que le projet aille de l’avant. David Alward a déclaré à la radio de CBC qu’il «n’est pas question d’atteindre la prospérité économique par la voie de la dégradation environnementale (traduction libre)» (CBC à 3 :15).
Noblesse d’âme à part, Alward a raison d’être optimiste : la partie de l’oléoduc qui traversera notre province sera non seulement neuve, construite de toutes pièces, mais spécifiquement conçue pour le transport du brut albertain, plus visqueux et plus corrosif que le pétrole traditionnel. La section existante de l’oléoduc, reliant l’Alberta au Québec, est en fait un gazoduc qui doit être converti pour le transport du brut, qui de plus a été construit dans les années 1950. Le Conseil des Canadiens (CDC), un organisme citoyen établi à Ottawa, a par ailleurs lancé une campagne d’opposition au projet axée sur la non-viabilité à long terme du projet, tant en termes de sécurité énergétique et environnementale qu’en termes d’emplois «décents» (TVA et CDC).
TransCanada, sur le site web de son projet Énergie Est, nous présente «la vérité sur les oléoducs», en nommant une longue liste de «mythes et faits» (Oléoduc Énergie Est). Parmi les «faits» dignes de mention : les oléoducs, lorsque bien entretenus, peuvent être employés indéfiniment; le brut dilué tiré des sables bitumineux n’est pas plus corrosif que le brut classique; et les oléoducs sont sécuritaires à 99,9%.
Étant donné la responsabilité à 100% assumée par les pétrolières dans les bris d’oléoducs, j’imagine que l’entretien est un souci constant. Mais une rapide recherche sur le brut des sables bitumineux nous informe qu’il contient habituellement plus de sulfure que le brut traditionnel, et donc que ses qualités corrosives et érosives ne tiennent pas seulement à l’eau et aux particules qui peuvent. Cette information est contestée par le gouvernement canadien (Ressources naturelles Canada), qui s’appuie sur une étude récente ayant « systématiquement démoli» le mythe de la corrosivité accrue du brut des sables bitumineux.
Et il est facile de déceler un trou important dans le défense de TransCanada à l’égard de la sécurité du transport de brut par oléoduc : ils comptent acheminer le brut des sables bitumineux sur 3000 km de GAZODUC. De gazoduc converti, soit, mais certainement pas rebâti à neuf; malgré l’intérêt de la pétrolière à garantir la sécurité du transport de la ressource, il y a raison de douter des assurances fournies sur la sécurité.
Et, j’y reviens encore, on parle des déversements – et c ‘est vrai qu’ils sont plutôt rares; ou alors on a une raison valable de nous les cacher – mais qu’en est-il des fuites? Des bris mineurs? Des incidents pouvant se produire pendant l’entretien des canalisations? Ça compte pour du beurre… noir?
De plus, il faut aussi tenir compte de la feuille de route environnementale de l’extraction du pétrole des sables bitumineux. Feuille bien noircie, vous comprendrez! Un blog du quotidien français Le Monde, écrit après le retrait du Canada du protocole de Kyoto en 2011, livre une critique de l’exploitation de la ressource (Le Monde). À son entrée dans le protocole en 1997, le Canada s’engageait à réduire de 6% (relativement aux niveaux de 1990) ses émissions de GES. Quinze ans après, le désastre : elles ont augmenté de 17%, en grande partie en raison de l’augmentation de l’exploitation du pétrole des sables bitumineux, extrêmement polluante. Pis encore, la production quotidienne, de 1,5 millions de barils en 2011, doit culminer à 3,5 millions de barils en 2025…
En clair, la performance environnementale du Canada, qui s’est retiré du protocole de Kyoto en l’accusant d’être inefficace - notamment parce qu’il ne contraint pas des pays aux industries émergentes (faiblement règlementées et souvent extrêmement polluantes), comme la Chine et l’Inde par exemple, à réduire leurs émissions – ne peut qu’empirer au fil de la prochaine décennie.
C’est pire ailleurs, oui. Mais ça pourrait certainement être mieux ici.
Ainsi donc, en conclusion de cette deuxième partie de notre regard sur le projet Énergie Est, on constate que les garanties environnementales qui accompagnent le projet sont généralement limitées à l’oléoduc lui-même et aux risques qu’il comporte, et laissent de côté la (piètre) performance de l’industrie en général. Par contre, et il faut le reconnaître, le gouvernement Alward semble sincèrement dédié à mettre en place un cadre strict à l’exploitation du tracé d’oléoduc. Il a intérêt à le faire, car quand viendra le temps de développer l’industrie du gaz de schiste (et il y compte bien), ce cadre sera d’une importance capitale.
Reste qu’un cadre strict, ça n’a jamais empêché les accidents; de même, on peut seulement prévoir, et jamais prédire les accidents. Cercle visqueux?
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