par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
L’oculonumérisme (j’attends mon chèque, messieurs-dames de l’Académie Française), c’est l’art de voir dans les chiffres les arguments soutenant nos affirmations, art auquel les administrateurs et politiciens de ce monde sont trop souvent passés maîtres.
...Et auquel nous, employés du domaine associatif et sans but lucratif, nous adonnons également à nos heures, il faut le reconnaître.
Ce qui est drôle, c’est que, comme une marionnette aura deux voix différentes si deux mains différentes lui titillent la luette par une voie ô combien détournée, les mêmes chiffres peuvent dire des choses TRÈS différentes, dépendant de l’inclinaison que l’on cherche à leur donner, comme du regard qu’on choisit d’y poser.
Par exemple : hier au Téléjournal Acadie, le recteur Raymond Théberge et Kevin Arseneau de la FÉÉCUM étaient interviewés en lien avec la hausse des droits de scolarité à l’UdeM et la manifestation que la nouvelle a déclenchée la fin de semaine dernière.
M. Théberge a réaffirmé que l’Université avait épuisé toutes les autres avenues avant de se rabattre sur une hausse drastique des droits de scolarité pour les étudiants internationaux, assortis d’une hausse de 2,8% pour les étudiants canadiens.
Kevin Arseneau avait alors réagi dans les médias en demandant à l’administration de l’Université de poser un long regard sur elle-même avant de refiler la note aux étudiants, ce qui semble malheureusement l’issue la plus facile et la moins durable, en raison du fait que les salaires des employés de l’UdeM ne peuvent qu’augmenter et que le nombre d’employé(e)s de certains secteurs peut paraître excessif.
M. Théberge rétorque alors, et hier encore, que les dépenses administratives de l’Université de Moncton sont en-dessous de la moyenne canadienne.
Si on regarde les chiffres, il a raison.
Si on interroge les chiffres, il a peut-être moins raison.
Les statistiques employées par l’UdeM en soutien à cette affirmation proviennent de l’ACPAU (Association canadienne du personnel administratif universitaire), et s’appliquent à l’ensemble des institutions. C’est dire que l’Université de Moncton, avec ses 5 000 étudiants, est dans le même ensemble statistique de UBC ou York, avec leurs 50 000 étudiants. Vous devinez qu’une moyenne tirée de cette source peut être un argument dont la valeur sera questionnable.
C’est pourquoi nous avons examiné les chiffres en tenant compte de la taille des universités. Selon l’ACPAU (dont les dernières données sont de 2011) il y a 7 universités canadiennes de taille comparable à l’Université de Moncton, incluant cette dernière : St F-X, Moncton, École Polytechnique de Montréal, UQÀC, Nipissing, St Michael’s College, et Athabasca. Depuis 2011, le nombre d’étudiants inscrits à temps plein à Athabasca a par contre dépassé les balises du groupe, qui compte les institutions ayant entre 4000 et 6000 équivalents à temps plein (ÉTP).
Et cette comparaison s’est avérée moins flatteuse pour l’UdeM : au niveau du pourcentage du budget consacré à l’administration de l’établissement, Moncton se situe légèrement au-dessus de la moyenne de 12,3% (à 12,4%), et non pas en-dessous ; même son de cloche si on regarde la somme totale (il s’agit ici d’estimés calculés d’après la moyenne citée par l’ACPAU appliquée aux budgets publiés) consacrée à l’administration, où l’UdeM arrive au premier rang, à 18,8 M$. Notons que cette somme est par ailleurs supérieure à celle consacrée par Athabasca qui, je vous le rappelle, est désormais une institution de la catégorie au-dessus de l’UdeM, avec 7 800 ÉTP.
Un autre chiffre peu flatteur pour l’UdeM au sein de sa catégorie est le ratio d’ÉTP par vice-rectorat. L’UdeM, avec ses 5 vice-rectorats, trône au sommet de sa catégorie, comme son ratio de 957 :1 est bien en-dessous de la moyenne de 2 052 :1 ÉTP par vice-rectorat pour sa catégorie.
Bon, d’Accord, j’enlève Athabasca : c’est en fait pire parce que la moyenne du groupe passerait à 2 297 :1... Je ne sais pas comment ils font là-bas pour gérer un campus de 7 800 étudiants avec seulement deux vice-rectorats.
C’est pour cette raison que, quand le recteur de l’UdeM dit que les coûts administratifs de notre institution sont en-dessous de la moyenne canadienne, on a véritablement l’option d’être d’accord ou pas d’accord. C’est une question de perspective, tout simplement ! J’admets par contre que je trouverais cela un tantinet irresponsable d’être d’accord avec cette affirmation.
D’après l’adage bien connu, quand on se compare, on se console. Mais encore faut-il se comparer à ce qui est comparable...
La morale de l’histoire : quand le risque d’oculonumérisme est élevé, comme ici, il faut (se) poser des questions, chers étudiant(e)s !
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