par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Sentant l’écume me monter aux lèvres, j’ai préféré m’interrompre et embrasser l’ensemble de l’argumentation avant de poursuivre ma réflexion de l’autre jour.
Parce qu’à force de réagir, parfois, on arrête de réfléchir…
Alors voilà : il semble y avoir des arguments valides contre la théorie alarmante de la «bulle éducative». Celui qui me semble à la fois le plus simpliste, mais le plus imagé, est l’argument de ce que l’auteur a nommé le «hog cycle» : le principe keynésien de la production porcine. La loi du marché, quoi.
En bref, et j’en fais de la terrine : plus un besoin du marché se fait sentir, plus d’étudiants acquièrent une formation dans ce domaine, ce qui comble le besoin, ce qui doit faire baisser le nombre d’étudiants choisissant ce domaine, ce qui crée à nouveau le besoin… Et ainsi de suite.
Mais le problème avec cet argument charcuteresque, c’est qu’il sous-entend la présence de groupes-tampons au sommet du cycle. Or ce sont eux qui ressentent le plus durement les effets. Ces dernières cohortes à acquérir une formation donnée, alors que les cohortes précédentes ont déjà comblé les places libres sur le marché du travail, sont pénalisées.
De plus, cette conception, ma foi, simpliste des choses sous-entend qu’on ne puisse que laisser les choses suivre leurs cours, l’intervention ne menant à rien…
C’est triste, mais c’est ça.
Une partie importante de l’argument pro-bulle réside dans la question de la valeur de l’éducation. Telle que perçue, pour plusieurs, cette valeur est immuable, et les chiffres tendent à confirmer : partout et dans pratiquement tous ses domaines, le secteur postsecondaire rapporte une hausse constante de ses effectifs.
Mais la valeur de l’investissement se mesure d’abord par son retour financier. Et en cela, du moins aux États-Unis, l’éducation postsecondaire continue d’être une valeur sûre : malgré un recul des bénéfices nets de l’éducation postsecondaire en termes salariaux, les bénéfices d’une éducation secondaire affichent un plus grand recul encore. Alors on gagne en perdant moins que les autres, c’est déjà ça.
Même chose pour le taux de chômage chez les diplômés : il est élevé, oui, mais y’en a de pires. Et c’est surtout chez les NOUVEAUX diplômés que le problème est grave… le temps arrange les choses supposément.
D’autres nous disent que le coût des études PAR ÉTUDIANT n’a pas augmenté. Seulement le nombre d’étudiant, lui, a gonflé. On ne pourrait donc pas dire que la hausse de l’offre est un produit direct de la demande. Pour répondre à la hausse du nombre d’étudiants, les institutions ont dû augmenter la taille de leur personnel enseignant et administratif, et l’on sait qu’avec le coût des études, ce sont des emplois qui sont obligatoirement bien rémunérés.
D’autres vont dans le très littéral, en disant qu’une «bulle éducative» est une impossibilité, en raison, principalement, du fait que la dette étudiante est largement financée par l’État, ce qui ne doit pas affecter les particuliers…
Vous en avez marre des demi-arguments ? Parce que moi aussi.
Un professeur de UC Berkeley nous offre un argument plus sensé, disant :
«Education has not stopped delivering its expected returns, not in terms of income or (un)employment. It has stopped delivering on the promise of a middle-class job = professions and managerial occupations, for which a BA was sufficient in the 60s, and for which a MA is now necessary.»
Encore là, pour régler le problème de votre éducation qui ne mène à rien, la seule solution serait… plus d’éducation ! Faut croire qu’on peut vraiment combattre le feu par le feu.
La seule chose que mes dernières lectures ont réussi à éclaircir dans ce dossier, c’est ceci : la plupart des gens sont d’accord pour dire que l’explosion de la «bulle éducative» est une éventualité très peu probable. Pas impossible – l’agence Moody’s, du moins, y croit – mais improbable. Toutefois, c’est valide seulement dans le sens classique de ce qu’est une «bulle», en termes d’économie :
«[Une bulle est créée] lorsque des acheteurs pensent se procurer un produit dont la valeur croîtra et les rendra riches dans le futur. Le produit devient de plus en plus cher, mais les tenants de l’offre, qui souhaitent voir les ventes augmenter, favorisent l’accès facile au crédit pour stimuler la demande. »
On en est à peu près là avec l’ÉPS, vous ne croyez pas ?
Dans le sens où l’éducation constitue une dette qui ne peut que se payer de sa propre valeur. Par exemple, si vous achetez une maison que vous vous voyez incapables de payer, vous avez toujours la possibilité de la vendre, même à perte, pour récupérer une partie de votre investissement. Ou encore, vous faitres banqueroute et votre dette est effacée. Hé bien les ti-z’amis, pas votre dette étudiante – la Loi sur la faillite et l’insolvabilité a été amendée en 1996, et en 2005, pour éviter que votre dette étudiante, en cas de faillite, soit pardonnée (pour une période de 7 ans).
Alors, si on ne peut en effet pas vraiment parler d’une réelle «bulle éducative», car les particuliers n’ont pas d’intérêt –ou de possibilité- à spéculer sur les dettes étudiantes, ceux et celles qui empruntent pour leurs études ressentent certainement des effets comparables à l’éclatement d’une bulle si le potentiel financier de leur formation est non-avéré, en bout de ligne.
Et je vous épargne les masses de chiffres et de statistiques dont j’ai été bombardé (à courir sous des B-52 ça doit arriver…), parce que – et j’en ai eu un vibrant rappel ces derniers jours – des chiffres, on peut leur faire dire à peu près ce qu’on veut.
Par exemple, je peux vous dire que 15% des nouveaux diplômés canadiens sont des chômeurs ; mais je peux également vous dire que 85% des nouveaux diplômés canadiens ne sont PAS au chômage.
Vous voyez ? C’est facile !
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