par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
J’ai régulièrement le plaisir d’entendre ou de lire les propos de nos compatriotes leaders étudiants québécois. Ces dernières semaines, cependant, tout le débat qui entoure la tenue – et surtout la participation – du Sommet sur l’éducation tend à dégénérer en mauvaise blague.
C’est devenu une espèce de «mexican standoff» entre les associations, le ministère et les médias. Sauf que personne ne se prive de tirer sur les deux autres… il faut apprécier le comique de la situation !
Plus comme un «mexican shootoff», mettons.
Mais essentiellement, c’est le clivage entre les associations étudiantes qui dérange un peu dans toute cette histoire. Amir Khadir, d’Action solidaire, a d’ailleurs lancé un appel aux associations en les exhortant à s’unir face au patronat (ministère et universités), qui a le beau jeu dans le débat actuel, face à une opposition divisée.
D’un côté, le FEUQ et la FECQ revendiquent un nouveau gel des droits de scolarité.
De l’autre, L’ASSÉ n’envisage désormais aucune autre option que la gratuité scolaire.
Les médias ont sauté sur l’occasion, qui était trop belle. Dans une entrevue à Radio-Canada le 5 février, on a pu entendre l’animateur rappeler au porte-parole de l’ASSÉ, Jérémie Bédard-Wien, que la gratuité n’était pourtant pas l’une de ses revendications lors du «printemps érable». Il y aurait donc incohérence dans les positions actuelles de l’association. M. Bédard-Wien justifie en disant qu’il s’agit d’un objectif à moyen ou long terme, et qu’en tant que tel, il est primordial que l’option de la gratuité «reste sur la table» pour le Sommet.
Le ministre Duchesne a dès janvier dissipé toute illusion quant à la viabilité de l’option de la gratuité, citant l’état des finances publiques et la conjoncture économique comme deux obstacles à sa réalisation. C’est ce que l’ASSÉ a interprété, on peut le comprendre, comme le retrait de la question de la gratuité des discussions prévues fin février. Le PQ prône depuis le début l’indexation des frais de scolarité (qui peut se faire selon différente formules) comme solution de compromis. Ça demeure une hausse, mais une hausse modérée, dit-on du côté du gouvernement. Rien à voir avec la hausse «catastrophique» que proposaient les Libéraux avant d’être évincés.
Le Sommet a été qualifié, par l’ASSÉ comme par d’autre et pour des raisons valables, de «banal exercice de relations publiques», puisque dans l’esprit de ses détracteurs, le ministre en a déjà choisi l’issue, et ne consulte les intervenants du milieu que pour lui conférer l’apparence d’un consensus démocratique. Même la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CRÉPUQ), qui doit composer avec des coupes budgétaires de 124 M$ en plein milieu d’un exercice budgétaire, doutent de la bonne volonté du ministre Duchesne. La rectrice de McGill, Heather Munroe-Blum, a d’ailleurs – à répétition – qualifié de «farce» le Sommet de la fin février.
Mais je reviens à l’ASSÉ, qui peut paraître aux yeux de certains comme la plus revendicatrice et la plus intègre des associations étudiantes, parce qu’elle est encore de la «vieille école» des brasseurs de cage, attachée aux idéaux étudiants des premières heures, intransigeante et inflexible.
Jeudi le 7, le ministre revient – ? – sur ses propos, disant (à peu près) que rien n’empêche de parler la gratuité dans le cadre du Sommet, mais qu’il soit clair que ce n’est pas une solution réalisable dans le contexte actuel. En somme, si l’ASSÉ veut en parler, venir vendre sa salade au Sommet, rien ne les en empêche, mais il n’est aucunement question de considérer la gratuité comme une solution réaliste dans l’immédiat.
Et la raison d’être du Sommet est justement de déterminer l’alternative à la hausse proposée par les Libéraux, en tâchant de tenir compte de la position et des suggestions de tous les intervenants. Est-ce que ça empêche de viser la gratuité à long terme ? Absolument pas.
Mais est-ce réaliste de parler de gratuité (même dans un avenir lointain) en réglant les modalités d’une hausse des droits de scolarité ? Pas davantage.
Il reste à se demander si l’ASSÉ, en campant ferme sur ses positions, aide sa cause. Journalistes et commentateurs qualifient l’association d’«enfant gâté», qui boude s’il n’obtient pas exactement ce qu’il exige. Il faut bien admettre que l’image a sa part de justesse, même si on ressent un pincement à l’âme en le faisant…
L’ASSÉ a cependant le mérite d’être fidèle à ses idéaux et de suivre ses convictions.
Il faudrait peut-être cependant que, à l’instar des deux autres associations étudiantes, elle apprenne à mettre de l’eau dans son vin. La démocratie est l’incarnation même du compromis, après tout : personne n’y obtient EXACTEMENT ce qu’il veut.
Un célèbre dicton nous avertit qu’à vouloir tout conquérir, parfois, on peut tout perdre… Je ne dis pas de lever le drapeau blanc, que nenni, mais l’ASSÉ semble en phase de s’écarter elle-même, par principe, du débat.
Le ministre espère quoi, vous pensez ?
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