jeudi 14 février 2013

Allez dégaine, coyote !

par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets

J’étire la sauce internationale en parlant aujourd’hui de la situation étudiante québécoise. Ce matin on apprend qu’après un mois et demi le doigt sur la gâchette, l’ASSÉ prend enfin sa décision et renonce à participer au Sommet sur l’éducation de la fin février (Radio-Canada).

D’un bord ou de l’autre, y’était à peu près temps qu’ils se décident ; surtout qu’il n’y a jamais véritablement eu de doute quant à leur intention finale. Comme le disait si bien Shakespeare : «Thou musteth defecate, lest thou shalt unsquat from upon thine chamberpot». À peu près. Pardon si mon shakespeech est un peu rouillé !

La question de l’attitude du gouvernement Marois à l’égard de la gratuité est, comme l’on pouvait s’y attendre, le principal argument de l’ASSÉ. Il faut reconnaitre qu’en effet, le PQ avait d’emblée affiché son refus de la gratuité, en citant l’état actuel des finances québécoises. Le ministre Duchesne a quand même invité l’ASSÉ à se présenter, pour venir exposer ses vues sur la gratuité, qui de toute façon ne pourrait être qu’un objectif à long terme dans les circonstances. Le conditionnel était utilisé à profusion dans les répliques du ministre.

Le refus à demi voilé, formulé en des termes conciliants, pousse l’ASSÉ à tourner le dos. L’association opte, comme au printemps dernier, de faire valoir sa position dans la rue. Une première manifestation est prévue pour le 26 février

Avouons que le gouvernement fait figure d’hypocrite, après avoir «surfé sur la vague du printemps érable»…

L’ancien PM du Québec, le toujours vocal Jacques Parizeau, a ajouté au débat plus tôt en semaine. D’après lui, la gratuité n’est pas, comme le martèle le PQ, irréalisable : il y a des mesures d’allègement fiscales prises par le gouvernement Libéral de Charest à l’égard des institutions bancaires qui pourraient être révoquées, injectant du même coup plusieurs centaines de millions de dollars dans les coffres de l’État (Le Devoir). Jean Charest a aboli la taxe sur le capital pour les banques en 2006 : entre 2007 et 2011 cette mesure a privé le Québec de quelques 600 millions $, sans que cela ait contribué à créer un seul emploi, que du capital pour les actionnaires. Rétablir la taxe sur le capital donnerait les moyens  au Québec de financer la gratuité, et plus, souligne Parizeau.

Qui plus est, Parizeau critique les méthodes politiques du PQ – et d’à peu près tous les politiciens actuels – à genoux devant l’autel du déficit zéro. Pour l’ancien PM, une société doit fixer ses objectifs avant de trouver le financement nécessaire pour les atteindre, et non le contraire. C’est là que résiderait la clé du progrès social. Parizeau juge ainsi que «l’obsession du déficit zéro empêche de réfléchir».

Mais revenons-en à l’ASSÉ, car l’opinion d’un lecteur m’a mis la puce à l’oreille : que défend-elle exactement? Il appert que dans le processus long et complexe de constitution de la masse étudiante en acteur politique, l’ASSÉ (non plus la CLASSE) serait en effet l’association de la cause unique : l’opposition à la hausse des frais de scolarité. Leurs interventions ne touchent pas aux questions de la qualité de l’éducation, de la qualité de la recherche, du rapport entre l’administration gonflée et le reste de l’Université, etc.

Y’a de la hargne dans la réplique de la personne en question, mais il y a également un certain bon sens. L’ASSÉ représente 70 000 étudiants. Ces 70 000 étudiants voient désormais leur association non seulement mener une bataille sur un seul front (la gratuité ou rien), mais également battre en retraite parce que la victoire est incertaine. Les étudiants ont d’autres intérêts dans ce débat, et qui méritent d’être défendus – tous mes compliments à la FEUQ et la FECQ là-dessus. Ils vont participer au Sommet, on le devine, sans se faire d’illusions, mais également avec le sens du devoir envers leurs membres : les positions qu’ils y défendront (le gel des frais de scolarité, – et dans le cas de la FECQ avec perspective de gratuité – le financement des universités et la gestion universitaire des fonds publics, la marchandisation de la recherche, la sur-administration des institutions postsecondaires, et j’en passe) sont nombreuses et ont fait l’objet de recherches sérieuses.

Et pour autant, est-ce que j’en déduis que la FEUQ et la FECQ sortiront du Sommet avec la victoire? Pas forcément, mais il est de leur responsabilité de faire valoir les positions de leurs membres auprès du gouvernement, et, espérons-le, de faire reculer le ministre Duchesne sur certaines de ses positions, qui me semblent résolument arrêtés pour un type qui s’en va en consultation publique.

Là s’arrête l’analyse, et commence l’opinion.

Mais laissons mijoter pour l’instant.

2 commentaires:

Stéphane a dit…

Rien à rajouter. Vraiment, un excellent texte.

Ta maîtrise de Shakespeare est impressionnante.

Communications Féécum a dit…

Ben... pas sûr. Je ne suis pas un expert en Shakespeare ni rien--oh attendez une ptite minute, OUI JE LE SUIS! C'est pas mal atroce comme Shakespeare.

Ceci dit, Raymond regagne tous ses points bonis grâce au néologisme « Shakespeech ».